La lauréate a été choisie pour la qualité de sa thèse de doctorat en archéologie, consacrée à « L’âge du Bronze moyen atlantique au prisme de la parure : Recherches sur les ornements corporels de France et des régions voisines (XVe-XIVe s. av. notre ère) », thèse aussitôt publiée, en raison de son intérêt, dans les Mémoires de la Société préhistorique française. Elle se voit gratifiée d’un chèque de 10 000 €.
L’intitulé du prix fait référence à Joseph Déchelette, savant né à Roanne (Loire) en 1862, disparu prématurément sur le front de la Grande Guerre en 1914 à Vingré (Aisne). Joseph Déchelette fut l’un des fondateurs de l’archéologie européenne.
Le prix vise à mettre en avant les travaux d’un(e) jeune archéologue, en lui apportant son concours, à un moment critique de la carrière de tout chercheur, celui qui suit la soutenance de sa thèse de doctorat. À l’issue d’un appel à candidatures mené de novembre 2019 à février 2020, un jury scientifique international s’est réuni le 5 mai pour départager la lauréate parmi 10 candidats européens.
Le jury a argumenté son choix de la façon suivante :
« Marilou Nordez a soutenu brillamment une thèse de doctorat en 2017 à l’université de Toulouse Jean-Jaurès sur L’âge du Bronze moyen atlantique au prisme de la parure : Recherches sur les ornements corporels de France et des régions voisines (XVe-XIVe s. av. notre ère), thèse qui a déjà fait l’objet d’une publication monographique. Elle occupe actuellement un poste de chercheur post-doctoral au sein du programme de recherche Celtic Gold cofinancé par les agences nationales de la recherche française et allemande, ce qui lui permet d’ouvrir son champ de compétence à l’âge du Fer.
Marilou Nordez a développé une méthode intégrée d’étude des bijoux. Elle s’appuie sur une approche « typo-chronologique » classique, qu’elle complète de façon originale par des analyses archéométriques, pour préciser la composition du métal, et technologiques, pour restituer les chaînes de fabrication. Ces données lui permettent d’interroger le concept d’« âge du Bronze moyen atlantique », de restituer des processus techniques jusqu’alors non identifiés à une époque aussi ancienne et de préciser les transferts de matières premières, d’objets et de techniques à l’échelle du Nord-Ouest européen. La dotation du prix lui permettra d’élargir le champ chronologique de son enquête sur les parures de la façade atlantique de l’Europe à l’ensemble de la protohistoire (IIe et Ier millénaires avant notre ère).
Le jury note également avec satisfaction que Marilou Nordez est très impliquée dans les réseaux de recherche, en particulier au sein de l’Association pour la Promotion des Recherches sur l’Âge du Bronze. »
Outre la lauréate, le jury a gratifié deux autres jeunes chercheurs d’une mention spéciale pour la valeur de leur recherche doctorale. A savoir :
– Andrew Lamb, qui a conduit à l’université de Leicester une brillante recherche doctorale consacrée aux rites funéraires dans le sud de la Grande-Bretagne à l’âge du Fer récent (Ve s. av. J.-C. – Ier s. ap. J.-C.). Le jury a vivement apprécié sa capacité à renouveler les connaissances sur un dossier archéologique bien connu des spécialistes mais considérablement réactualisé ces dernières années, en replaçant son étude dans une perspective résolument européenne.
– Guillaume Reich, qui, dans le cadre d’une recherche doctorale menée en cotutelle aux universités de Neuchâtel et Strasbourg, a développé une approche nouvelle et originale de l’armement protohistorique en l’étudiant sous l’angle de la tracéologie, c’est à dire des traces qui témoignent de leur usage ancien, sans faire l’économie d’expérimentations en vraie grandeur pour comprendre comment les armes enregistrent les coups qu’elles ont reçus ou donnés au combat. Après s’être intéressé à la collection prestigieuse du site de La Tène (CH), apportant des arguments en faveur de son interprétation comme un trophée, il s’engage dans l’étude d’autres séries fameuses d’armes de l’âge du Fer européen.
Marilou Nordez est une jeune chercheuse âgée de 31 ans qui obtenu son doctorat à l’université de Toulouse Jean-Jaurès en 2017, avec un mémoire consacré à l’âge du Bronze moyen atlantique, qu’elle a étudié à travers le prisme des objets de parure. Sa période de prédilection date donc d’il y a environ trente-cinq siècles. Son lieu de naissance, sur les rives de l’estuaire de la Loire, prédestinait l’archéologue qu’elle allait devenir à s’intéresser à « l’âge du Bronze atlantique », défini par différents chercheurs européens du milieu du XXe siècle sur le constat de la grande similitude des armes et des parures de la façade atlantique du continent, de la péninsule Ibérique aux îles Britanniques, durant le seconde moitié du IIe millénaire avant notre ère. Ces points communs sont expliqués par l’efficacité des réseaux de communication par voie maritime, qui s’avèrent avoir été aussi intenses que ceux que l’on connaît mieux dans l’espace méditerranéen. C’est donc une très ancienne communauté de l’Europe du Nord-Ouest qui émerge progressivement grâce à l’archéologie. La recherche doctorale de Marilou Nordez, menée dans une perspective résolument européenne, apporte une contribution majeure à la connaissance d’une étape ancienne de cet âge du Bronze atlantique. Pour cela, elle a développé une approche « intégrée » des parures en bronze de la période, en ce sens qu’elle a mobilisé différentes approches : typologique (classement des formes et des décors), archéométrique (analyse de la composition du métal), technique (compréhension des processus de fabrication, par l’expérimentation) et contextuelle (étude des lieux de découverte). On retiendra en particulier la collaboration qu’elle a nouée avec des artisans bronziers, MM. Jean-René Châtillon et Patrice Lamouille, tous deux installés à la pointe de la Bretagne, pour comprendre les techniques de fabrication des bracelets et anneaux de cheville et se rendre compte que le procédé utilisé était celui de la cire perdue, qui n’avait encore jamais été identifié à date aussi haute en Europe occidentale. Rappelons que ce procédé consiste à fabriquer un modèle de l’objet en cire d’abeille, décoration comprise, puis à enrober ce modèle dans une matrice de terre qui, une fois cuite, servira de moule pour y couler le métal en fusion.
La recherche doctorale de Marilou Nordez est d’autant plus méritoire qu’elle s’est faite sans allocation de recherche, ce qui l’a obligée à partager son temps entre ses études, l’enseignement universitaire et des missions pour des opérateurs archéologiques, sans compter son engagement associatif fort auprès de l’Association pour la Promotion des Recherches sur l’Âge du Bronze (APRAB). C’est aussi le fruit d’un travail d‘équipe. Sa passion pour l’âge du Bronze s’est affirmée durant ses années de licence à l’université de Nantes, auprès de Sylvie Boulud-Gazo (Maître de conférences, laboratoire CReAAH) qui l’a accompagnée jusqu’à son doctorat. Son sujet de recherche s’est précisé durant son master préparé à l’université de Rennes 2 puis à celle de Rennes 1, avec le soutien de José Gomez de Soto (CNRS, laboratoire CreAAH) et Pierre-Yves Milcent (Maître de conférences à l’université de Toulouse Jean-Jaurès, laboratoire TRACES). C’est enfin à Toulouse, au sein de TRACES, qu’elle a préparé sa thèse, sous la co-direction de Pierre-Yves Milcent et de Barbara Armbruster (CNRS - TRACES).
Depuis sa soutenance, Marilou Nordez est une des chevilles ouvrières du projet de recherche Celtic Gold, cofinancé par les agences de la recherche allemande et française et qui s’intéresse à l’utilisation et à la circulation du métal précieux dans l’Europe du Nord-Ouest, mais à l’âge du Fer cette fois.
Depuis ses premières années d’études supérieures, Marilou Nordez progresse donc sur une trajectoire qui l’amène à être devenue une des meilleures expertes des réseaux d’échanges protohistoriques dans l’extrême ouest de l’Ancien Monde. Souhaitons-lui de pouvoir poursuivre dans cette voie, qui s’inscrit parfaitement dans la lignée des travaux de Joseph Déchelette. Pour l’heure, elle compte utiliser prioritairement la dotation et les invitations qui lui ont été proposées par différentes institutions partenaires du prix pour parfaire sa documentation relative aux parures protohistoriques de la façade atlantique.
Le prix est doté d’une enveloppe de 10.000 € se répartissant ainsi : l’association Joseph-Déchelette pour 3.000 €, le Ministère de la Culture et de la Communication pour 5.000 € et le Römisch-germanisches Zentralmuseum (RGZM, Mayence) pour 2.000 €.
S’y ajoutent plusieurs gratifications en nature sous la forme de séjours de recherche dans des institutions européennes – musée d’Archéologie nationale, RGZM, Laténium (Suisse), Bibracte, sans oublier la bibliothèque du musée d’archéologie et de beaux-arts Joseph-Déchelette, d’une exceptionnelle richesse.
Le prix est traditionnellement remis au lauréat par le président de l’association Joseph-Déchelette lors des Journées européennes de l’Archéologie dans l’enceinte de la bibliothèque du musée d’archéologie et de beaux-arts Joseph-Déchelette. Le musée, installé au cœur de Roanne, fut la résidence du savant, avant que sa veuve ne lègue le bâtiment et la bibliothèque à la Ville.
En raison des conditions sanitaires exceptionnelles de ce printemps, la cérémonie a été repoussée à l’automne.
Le Prix européen d’Archéologie Joseph-Déchelette a l’ambition de combler un manque : de tels prix sont en effet très rares dans cette discipline scientifique. Ses critères d’attribution comprennent les valeurs qui distinguèrent Joseph Déchelette : ouverture d’esprit, dimension européenne de la réflexion, rigueur intellectuelle, sens pratique. Il se veut largement ouvert à la communauté archéologique internationale. Il concerne les jeunes chercheurs ayant soutenu leur thèse de doctorat depuis moins de deux ans, sur un sujet concernant la Protohistoire européenne (âges des métaux). Afin de ne pas établir de restriction sur la langue de rédaction de la thèse, il est demandé aux candidats d’en fournir un résumé en français ou en anglais, ainsi que des perspectives de travail pour l’année suivant l’attribution du prix.
Pour cette troisième édition (la prochaine étant prévue en 2022) l’association Joseph-Déchelette a bénéficié de partenariats avec différentes institutions françaises et européennes :
ainsi que Bibracte EPCC / Centre archéologique européen, qui a assuré le secrétariat du prix.
Le jury, placé sous la présidence de Mme Anne-Marie Adam, professeur émérite de l’université de Strasbourg et présidente du Conseil scientifique de Bibracte, comprenait les personnalités suivantes :
Eneko Hiriart fut le premier lauréat du Prix Joseph-Déchelette, en 2016.
Sa recherche doctorale soutenue à l’université Bordeaux-Montaigne, portait sur les pratiques économiques et monétaires entre l’Èbre et la Charente entre le Ve et le Ier siècle avant J-C.
Eneko a aujourd’hui intégré les rangs du CNRS, au sein du laboratoire IRAMAT-CRP2A (Bordeaux)
Sasja Van der Vaart-Verschoof fut la lauréate de la deuxième édition du prix, en 2018.
Sa recherche doctorale soutenue à l’Universiteit Leiden (Pays-Bas) portait sur les sépultures de l'élite du début de l’âge du Fer des Pays-Bas.
Sasja est aujourd’hui conservatrice-assistante au Rijksmuseum van Oudheden (musée national des Antiquités) des Pays-Bas.
Qui était Joseph Déchelette (Roanne 1862 - Vingré 1914) ?
Né à Roanne en 1862, Joseph Déchelette mena de front ses recherches et travaux d’archéologie avec une carrière de capitaine d’industrie dans le textile. Après des travaux archéologiques dans sa province natale, il entreprend des recherches sur la céramique gallo-romaine puis sur les sites fortifiés de la fin de l’âge du Fer à partir des fouilles de l’oppidum de Bibracte en Bourgogne, ce qui lui valut la reconnaissance des chercheurs à l‘échelle européenne.
Son Manuel d’archéologie préhistorique, celtique et gallo-romaine (4 volumes) resté inachevé confirma définitivement son rayonnement européen de spécialiste en archéologie préhistorique. Enrôlé à sa demande dans une unité combattante alors qu’il avait 52 ans, il tomba sur le front le 4 octobre 1914. La reconnaissance européenne du savant roannais s’exprima par les nombreux messages personnels et officiels de condoléances qui suivirent son décès.
Son activité professionnelle dans l’industrie de la cotonnade roannaise déteignit de façon importante sur ses recherches savantes, contribuant à l’originalité de son regard au sein d’un monde académique habituellement replié sur ses études. En outre, sa capacité de synthèse exceptionnelle lui permit d’inventer au sens propre l’archéologie protohistorique. Cela répondait à sa conviction, originale dans le monde académique « que la culture marche toujours sur les traces de l'économie et ne se maintient qu'au prix des échanges : par conséquent, Joseph Déchelette s'attachait à la nature des relations entre les hommes plutôt qu'à leur identité » (Serge Lewuillon).
=> à noter les ouvrages suivants :
L’association Joseph-Déchelette a été fondée en 2010 à l’initiative de son arrière-petit-neveu Édouard Déchelette(†), afin d’entretenir la mémoire de ce grand savant et promouvoir la discipline qu’il affectionnait. Ses premières actions ont été de préparer la commémoration du Centenaire de la disparition de Joseph Déchelette, sous la forme d’un colloque international tenu en 2014 à Roanne et d’un ouvrage collectif : Joseph Déchelette, un précurseur de l’Archéologie européenne. L’institution du Prix européen d’Archéologie Joseph-Déchelette se place dans la suite logique de ces actions fondatrices de l’association.
Association Joseph Déchelette : Béatrice P. Bonnamour, beatrice.bonnamour@neuf.fr, 06 14 40 48 93
Bibracte : Vincent Guichard, Directeur général, v.guichard@bibracte.fr, 03 86 78 69 00
Ville de Roanne : Laura Vigo, responsable des publics, Musée d’archéologie et des beaux-arts Joseph Déchelette, lvigo@ville-roanne.fr, 04 77 23 68 70